Alaska, avril 1998

Photos: Florent Ducasse

Texte: Jérome Catz

Riders : Axel Pauporte, Phil Lalemant, Yannick Amevet, Greg Poissonnier, Jérome Catz, Damien Gagneux

Même dans l'avion, c'est difficile d'y croire... l'Alaska, avec un grand A, si vous permettez! Avec tout ce qu'on a déjà vu ces deux dernières années dans les mags, c'est le rêve de tout freerider qui se respecte - quand il n'y a pas encore mis les pieds - et une destination quasi incontournable une fois qu'on connaît (vu que c'est presque toujours les mêmes têtes qu'on retrouve là-bas). Bref, tout ce qu'évoque le nom du 49ème état des States est vrai : c'est grandiose!
14 heures d'avion (du 747 au bimoteur à hélices), une demi-journée à Montréal, une nuit dans l'aéroport de Vancouver,

Phil Lalemant et Don Grego, pendant la nuit à Vancouver... ça ne ressemble pas à l'aéroport...

après notre départ de Paname nous découvrons les fjords du sud de l'Alaska. A peine descendu sous le plafond des nuages, une immense plaine blanche se détache des montagne noires qui bordent la mer... J'ai du mal à comprendre pourquoi il n'a neigé que là et pas sur les montagnes voisines, quand la dame d'à côté me demande comment je trouve le Mendenhall glacier? Là, je sais qu'on y est pour de bon, parce qu'un glacier de 6 ou 700 mètres de large qui dégueule dans la mer, est un des signes distinctifs du pays des Inuits et des Esquimaux. Débarquement, taxi, downtown Juneau, Alaskan Hotel.

L'Alaskan hotel, il date de 1913, tout en bois avec un vieux piano mécanique dans le saloon, et comme le mobilier, les tenanciers sont plutôt rustiques et "tuff" au premier abord.

Nous bataillons un peu au début pour avoir nos chambres jusqu'à ce que Bruce Griggs (un des boss de Out of Bounds) arrive, et là tout s'éclaire, tout s'illumine : il gère!
Pas encore installé, Terje vient nous serrer la pince (on est aussi au pays des crabes géants), et on apprend que quelques riders de chez Terje filmé par IMAX.

Burton sont ici pour filmer avec IMAX qui produit un film sur les sports extrêmes. Après avoir filmé les plus grosses vagues jamais surfées (cet hiver sur le north shore d'Oahu à Hawaii) ils sont ici pour shooter la partie snowboard et ski...

Craig Kelly

Ca laisse rêver sur la qualité des pentes d'ici! Mais en bref, pendant les 12 minutes qui suivent notre arrivée, nous apprenons :
- qu'il neige au dessus de 100 mètres d'altitude sans discontinuer depuis 9 jours (donc ça en a posé au moins 3 mètres)
- que Terje, Victoria Jealouse et Craig Kelly sont dans l'hôtel depuis 10 jours et qu'ils sont au bord du gouffre

Terje
- que la météo annonce du pas trop pourri pour le lendemain et que nous sommes donc vernis du cul!

Temsco Heli Base, traduisez : le grand hangar aménagé qui sert de salle d'attente avant le départ, est à 15 dollars (Capital Cab) de l'hôtel. A 8 dans le taxi, avec les boards et les sacs, plus la peine de louer une caisse... Une fois les décharges de responsabilité signées - en gros tout ce qui vous arrive d'autre qu'un crash en hélico, c'est de votre faute - on attaque la pesée. Le poids est minutieusement réparti entre les snowboarders, leurs matos et le carburant que le pilote prend, en fonction des déposes prévues et de la marge de sécurité (20 % du réservoir doit être encore plein à l'arrivée). Nous limitons donc le nombre de power bar et autres snickers à 2 par personnes... Après le brief sur le poids, nous avons droit à toutes les consignes de sécurité expliquées par le guide et par le pilote, chacun allant de ses petites manies : préférence du pilote quand au côté de sortie des 4 passagers de la banquette arrière; emplacement du groupe par rapport à l'hélico au moment du drop ou du ramassage;

attributions des tâches pour chaque personne du groupe : untel ouvre les sandos qui tiennent fermé le panier dans lequel repose le matos et tient le dessus ouvert, un autre qui sort les boards et les sacs (en faisant super gaffe à ne pas faire dépasser les boards plus haut que la tête)

le troisième récupère le matos et l'empile au niveau de la porte du pilote et le quatrième appuie sur le tout pour que ça ne s'envole pas... L'opération de chargement est identique et tout cela se passe sous l'oeil sévère du guide. Si vous comptez bien, nous sommes 6 par hélico, avec le pilote!

Greg Poissonnier, Juneau.
L'avantage de l'Alaska, c'est que ça ne coûte pas cher; à 5 000 fr. par personne la journée moyenne, le budget s'évapore assez rapidement. Nous décidons judicieusement, après deux petites sessions de 2 déposes entre les trous de nuages (4 500 fr. par personne pour que dalle), de ne plus voler que par temps magnifique. Heureusement qu'il fait mauvais presque tout le temps! Nous passons donc nos premières journées à rider à Eagle Crest, la station de Juneau qui fermera cinq jours après notre arrivée

Axel Pauporte à Eagle Crest.

Yannick Amevet.

et à nous entraîner à manier notre Nerva (prononciation Vitellienne de l'Arva) ce qui tend à montrer que si le seul à ne pas être sous l'avalanche est Yannick Amevet, on nous retrouve au dégel, ou dans 4 000 ans parfaitement conservés. Après nos "search training", nous avons eu droit à la vidéo (deux heures) sur les avalanches, les types de neige et la conduite à tenir en cas de pépins à la montagne; nous retiendrons la leçon d'un vieux guide des rocheuses : <<if you're caught by an avalanche : fight like hell!!!>>. D'ailleurs, c'est ce à quoi a pensé Bruce Griggs quand il était dans l'avalanche qui est partie le premier jour de grand beau, alors qu'il guidait l'équipe de IMAX : complètement recouvert mais vite dégagé et un ski perdu... Les journées de mauvais temps nous permettent d'aller nourrir les Bald Eagles

(emblème des Amériques) à grand coup de sardines surgelées que nous jetons dans un des nombreux bras de mer qui rentrent dans les terres. Les aigles reconnaissent la couleur des sacs plastique du marchand de sardines congelées pour aigles, et à peine nous approchons-nous de la grève qu'ils sont 25 à tournoyer au dessus de nos têtes...

Gentils les oiseaux, trois mètres cinquante d'envergure et des serres capables de vous broyer un mollet sans problème nous aident à battre des records de lancer de sardines congelées (nos amis les belges étant rompus au lancer de nains réalisent des exploits!). Certains d'entre nous ont essayé de pêcher mais les "alaskan birds" (des putains de gros moustiques énormes) les ont fait rentrer sans poissons mais avec quelques traces de claques sur le front...
Mais parlons Snow un peu!

Voici comment est la neige :
- juste après la chute (généralement entre 1 et 3 mètres de poudre) l'objet de nos déplacements est comme en Europe : profond, très léger et très instable. Il se produit alors un phénomène psychique remarquable : le photographe et les riders se mettent à baver dès la sortie de l'hélico alors que le guide devient hyper nerveux et met une laisse à chacun (on ne bouge pas sans son autorisation, on ne ride pas de pentes de plus de 30° - 35° s'il est vraiment cool). Jérome Catz

Greg Poissonnier

Phil Lalemant

Damien Gagneux

Dès que le guide apprend que son pote est sous l'avalanche, il a une petite absence de 15 secondes environ, s'informe de l'orientation de la pente qui est partie pour la bannir de celles qui seront ridées dans la journée, fait quelques virages, retrouve aussitôt le sourire et nous laisse enfin partir droit devant - mais pas trop loin quand même. C'est une boucherie!

Jérome Catz

Damien Gagneux

Axel

Jérome Catz

Don Grego

Damien

Phil Lalemant
- le deuxième jour de beau temps, l'hélico s'enfonce déjà moins quand il nous dépose, mais la neige est toujours aussi légère. Sean Dog, notre guide, recommence le rituel obligatoire : il creuse un large trou dans une pente de 35° (la pente la plus propice aux avalanches) jusqu'à avoir un mur de presque deux mètres devant lui. Il vient ensuite se placer au dessus du mur, à 50 cm du trou et se met à exercer une série de pressions de plus en plus forte sur la neige. En fonction de l'épaisseur de neige qui se détache, en glissant sur les couches inférieures, pour la pression exercée Shawn connaît la stabilité du manteau neigeux. Il peut ainsi avoir une idée du risque d'avalanche pour la journée. Il fait très froid la nuit et la neige se stabilise avec le temps. Nous sommes donc autorisés à glisser dans des endroits déjà un peu plus chauds...

Yannick Amevet

Axel Pauporte

Jérome Catz

Damien Gagneux

Un des plus beaux moments de ride arrive avec la fin de journée, quand le soleil s'enfonce dans la mer de nuages qui remplit l'horizon.

Greg Poissonnier


Alors la neige passe du blanc à l'orange flamboyant puis au rose PQ (mais de qualité, genre triple épaisseur, extra doux, super ouate...) en vingt minutes et avec les quelques reflets sur les bras de mer au bas des pentes... ca vaut le coup d'oeil! Jérome Catz

Phil Lalemant


- Quand on en arrive au cinquième jour de beau temps consécutif, la neige est d'une stabilité à toute épreuve, et nous ne recherchons plus que les pentes les plus raides possibles.

Jérome Catz

Damien Gagneux

Phil Lalemant

Greg Poissonnier

En surface la neige est la plus légère que j'ai jamais vue! Comme elle se densifie rapidement en profondeur, on ride une sorte de coussin d'air et quelle que soit notre vitesse, la planche s'enfonce toujours de la même façon dans la neige, pas de surprise et plus aucun choc, même en se mettant de gros vols : Jérome Catz

le bonheur si je veux! Une chose assez traître de cette stabilité exceptionnelle de la neige, c'est qu'elle vous met en confiance et vous fait oublier que chaque fois que vous faites un virage, une bonne quantité de poudre blanche se met à glisser... derrière vous au départ, mais cette micro avalanche, "le Sluff", devient vite suffisamment puissante et rapide pour "embarquer" votre planche, et vous avec... Dans toutes les pentes raides avec des barres ou des séracs à la fin, ce sluff peut être fatal!

Phil Lalemant

Jérome Catz


C'est pour cela que l'on se "décale" d'un goulet ou d'une dizaine de mètres de l'axe dans lequel on a fait les premiers virages. C'est très net quand on voit les skieurs : 8 virages - une traversée - 8 virages - une traversée - 8 virages etc....
Petit hic du séjour, nous sommes surpris par un front nuageux qui stagnait au loin mais qui a décidé de nous foncer dessus à 120 km/h, et croyez-moi, ça va super vite. Le temps de se faire déposer sur une autre face du massif où nous étions et de descendre à fond, les nuages n'étaient plus qu'à 200 mètres et nous devons renoncer aux Medenhall Towers, très belles pentes raides que nous avions repérées le matin et que nous gardions pour finir la journée en beauté (et en sensations)... Rentrer maison, fumer jambon! En fait c'est parfait, ça nous donne une bonne raison de revenir la saison prochaine.



Le TOWN-IN : Cette discipline (au même nom que le surf tracté) consiste à choisir un sommet trop étroit pour que l'hélico puisse s'y poser.

Il faut donc monter avec son sac et sa board dans l'hélico, et faire confiance au pilote qui se démerdera pour maintenir son engin en stationnaire au dessus d'une bande de neige ou d'un rocher où vous pourrez poser vos boots, tout en gardant la porte ouverte d'une main et en essayant de récupérer votre planche de l'autre. Généralement, au moins une face du sommet est un précipice sans fond, et c'est face au vide et au vent que le pilote vous fait comprendre qu'il n'a pas que ça à faire et que YES YOU GO DOWN HERE!!!Le Sac de l'héliboarder est plein. Plein de plein de choses, dont une lourde part qui ne sert presque jamais (si cette partie sert, alors vous serrez les fesses). Pelle démontable, sonde, rations et couverture de survie pour faire joli ; et camel bak rempli d'ice-tea (ou sa version Décathlon 5 fois moins chère), sandwich, power bar, tacos, bonnet et masque de rechange, radio (NON l'Arva et le baudrier ne se mettent pas dans le sac!!!) pour ne pas faiblir au milieu de ces rares et splendides journées de 10 heures au milieu des glaciers.

SI VOUS AVEZ AIME CE TRIP, ALLER VOIR LA SELECTION DE PHOTOS SUR L'ALASKA DE FLORENT DUCASSE