Sud
Americana
Le grillage qui protège le pare brise du bus tremble, tout
le car vibre et sursaute constamment tellement la route, ou plutôt
la piste, est mauvaise, mais le chauffeur roule quand même à
bonne allure. Nous sommes sous un ciel de plomb, la tache d'aluminium
qui indique l'emplacement du soleil éclaircit tout juste le
contour des collines qui tombent dans le détroit de Magellan,
faisant ainsi paraître l'eau encore plus sombre, vieil étain
liquide, surface immobile, engourdie par le froid. Les quelques arbres
rabougris, gros bonsaïs torturés par les éléments,
cèdent peu à peu la place à une steppe aride,
immense plaine semée de buttes et quadrillée par les
clôtures de fil de fer barbelé qui filent à perte
de vue, limites des estancias. Seuls leurs contenus les différencient,
vaches et boeufs, chevaux, guanacos (petit lama local, proie favorite
du puma), et des boules de laine sur pattes qui semblent bien être
des moutons. Ce paysage étrange et monotone nous ramène,
Youbi et moi, à une dizaine de jours en arrière, dans
l'aéroport de Santiago où nous nous retrouvons tous
les quatre, avec Phillipe Lalemant et Florent Ducasse, à la
recherche de la neige en cette fin août. Nous ne sommes pas
les seuls d'ailleurs, on dirait que le petit monde du snowboard français
s'est donné rendez-vous en Amérique du Sud cette année,
et plus particulièrement à Vallee Nevado, LA station
chilienne, à une heure de Santiago ainsi qu'à trois
milles mètres d'altitude. Quand on connaît les personnages
qui y tiennent l'école de ski, beaucoup de choses s'expliquent
: Beb, Pierrot, François, Jean-Luc et le légendaire
Jean-Phi (Garcia) forment une "french connection" à
toute épreuve, munie d'une forte capacité d'organisation!
En bref, nous arrivons quasi en même temps que : Régis
et Varek (qui viennent filmer pour une prochaine vidéo) Guillaume
Chastagnol, Fred Moras, jeune de Serre Che, Sly, Doriane Vidal, Seb
Vassonney, Romain Retsin, Boulgy, Nico N'Guyen, Arnaud Guerin, Guillaume
Lacruz, Damien Gagneux, Fred Serin, et bien d'autres, tout ça
pour nous rendre compte que la neige n'est pas au rendez-vous !. Quatre
jours de petits rides, heureusement entrecoupés de sessions
billard, couchers de soleil, fléchettes, restaurants "gastronomiques",
sont le temps nécessaire pour que la neige arrive et que Phil
se blesse et se fasse rapatrier (no worry, il était totalement
guéri un mois après!). Un peu de poudre et de soleil
vous réconcilie rapidement avec le sort et l'appel du Sud se
fait déjà sentir. Le Sud, ici, il prend une dimension
toute autre qu'en Europe, il est synonyme de froid, de conditions
climatiques extrêmes et de fin du monde. Au moins trois bonnes
raisons d'aller y faire un tour non?
Fin del mundo, juste de l'autre côté de ce fameux détroit
de Magellan dans lequel la route vient mourir. Youbi et moi attendons
le ferry qui transportera notre bus de l'autre côté,
et nous en profitons pour saluer le capitaine de cet étrange
port, seul passage routier entre le continent et la Terre de Feu.
C'est Magellan qui, en découvrant le "Detroit de tous
les Saints", (en 1620, et qui porte son nom maintenant), a donné
ce nom à cette terre où brûlaient de nombreux
feux, signaux entre les indiens Yaghans, Alakufes, Haush et Selk'nan
pour s'avertir de l'intrus, "rocher flottant habité de
cormorans du grand large" comme expliquaient la chose les anciens,
début de tous leurs maux. Les multiples essais d'évangélisation,
les missions scientifiques, les chercheurs d'or et les éleveurs
qui se sont succédés au cours de deux siècles
ont eu raison de ces ethnies et les derniers descendants de cette
culture sont deux vieilles femmes qui vivent sur l'île Navarino,
en face de la baie d'Ushuaia.
Autant dire que cette culture a disparu. Le ferry nous débarque
frigorifiés sur l'autre rive car nous avons fait la demi-heure
de traversée sur le pont du bateau, histoire de vérifier
si les fameuses conditions climatiques de la région la plus
australe du monde sont bien fondées : elles le sont! Nous venons
de traverser l'endroit ou les deux océans, Atlantique et Pacifique,
se rencontrent. Il y a quelques remous! La piste reprend aussitôt
jusqu'à Rio Grande, seulement interrompue par les deux postes
frontières Chili - Argentine. Ces rapides coups de tampon symboliques
ne changent rien au désert blanc que nous traversons maintenant.
Après la deuxième ville fuegienne, les arbres recommencent
à faire leurs apparitions, pâles squelettes tout habillés
de lichens vert d'eau, presque translucides, qui s'accordent bien
avec le lever de lune (elle est pleine) pour donner à cette
région du monde le côté étrange et mystique
qui a toujours attiré les hommes. Car qui, sinon, voudrait
vivre dans cette contrée où le climat du cap Horn est
transféré sur ces montagnes, pas très hautes
(1500 mètres) mais acérées, ne laissant que quelques
bandes de terre susceptibles d'être habitées. Les fuégiens
sont quand mÍme 45000 à Ushuaia, la ville du bout du
monde, et croient en cette région qui vit principalement du
tourisme et de ses fonctions administratives. Suffisamment pour que
certains, avec l'aide de l'Etat, développent la station de
ski de Cerro Castor, à 30 kilomètres de la ville. 800
mètres de dénivelé desservis par trois télésièges
Poma tout neufs et une infrastructure complète (location, shop,
restaurant d'altitude etc.) donnent à tout le monde la possibilité
de venir glisser au bout du monde!
Florent nous attend au terminal du bus (il a volé de Santiago
à Ushuaia via Buenos Aires. On ne peut rien contre les désirs
sentimentaux d'un vieil homme!), et nous arrivons chez Violetta, auberge
au dessus du canal Beagles. Les chiens aboient toute la nuit, juste
à côté de la maison, pas moyen de fermer l'oeil,
nuit pourrie! Mais il fait beau le lendemain, et ici, les journées
de ciel bleu se comptent sur les doigts de la main. Gaston nous attend
devant son magasin, c'est lui le boss de la station, grosse entreprise
familiale, qui nous emmène ce matin visiter son domaine. Nous
sommes plus que surpris, le plus long télésiège
nous laisse au sommet de la station avec un grand choix d'itinéraires
et de lignes freeride, c'est clair qu'il faut marcher un peu, mais
on a l'habitude! Le panorama est à la hauteur de l'endroit
: sommets magnifiques, glacier, forêts de bouleaux dans la vallée
et sur les premières pentes, la mer au loin (très loin)
et un bout de lac. Première journée de ride donc, avec
20 cm de poudre dans les combes à l'abri du vent (qui ne doit
pas s'arrêter souvent de souffler par ici) et une neige froide
et compacte sur les pistes : le pied (voir photos.).
La Parilla est une spécialité argentine, et plus précisément,
un assortiment des meilleurs morceaux de viande délicieusement
préparés au barbecue. Tout à fait le genre de
nourriture régénératrice qu'il nous fallait après
une telle journée de ride, spécialement accompagnée
de ces fameux vins argentins ou chiliens, qui donnent des forces pour
les excursions en mer. Nous nous retrouvons donc le lendemain sur
un voilier de 12 mètres, le temps nuageux nous donne de ces
flocons ronds de polystyrène qui fondent difficilement au contact
de l'eau, heureusement seulement pendant 10 minutes, et le vent, l'occasion
de vérifier si nous avons le pied marin et l'estomac bien accroché!
Il faut une heure et demi par bonne brise pour atteindre le Phare
des éclaireurs et pouvoir discuter un peu avec les cormorans
et les lions de mer. Ce sont de grosses otaries qui se prélassent
sur leur bout de rocher au milieu du canal Beagles avant de piquer
une tête dans l'eau à 2 degrés, un peu comme les
marins des 153 navires qui ont coulé dans les parages entre
1643 et 1930. Sur le chemin du retour, le capitaine nous montre ses
photos et nous découvrons avec stupéfaction que nous
sommes sur les traces du team Nidecker avec 5 ou 6 ans de retard.
Gloire à nos illustres prédécesseurs! Les jours
qui suivent nous verront faire du chien de traîneaux avec Tony
O'Canto, fanatique de ce mode de déplacement originel avec
ses attelages de 6 à 12 chiens, et ses étapes de 30
à 70 kilomètres par jour. Le musée d'Ushuaia
et son Oscar de directeur peuvent beaucoup contre le mauvais temps,
et une petite ascension d'un pan du glacier Martial (qui surplombe
la ville et permet de rider au dessus du canal Beagles) sont autant
d'activités qui donnent une bonne vision d'ensemble de cette
partie du monde où le temps change 5 fois radicalement dans
la même journée! D'après Oscar, la Terre de Feu
n'est pas la fin du monde, elle en est son commencement!
Et soudain, chose incroyable entre les choses les plus incroyables
des choses incroyables : nous avons eu une nouvelle journée
de beau temps, sans vent, il avait bien évidemment neigé
les jours précédents, nous connaissions les lignes.
Tout peut arriver en Terre de Feu, même avoir beaucoup de chance!
ENCADRE à traduire malheureusement mais à garder intact
pour que Florent puisse l'envoyer tel que en Espagne.
"Esta parte del mundo me parecio tan buena que me estableci,
seg²n creo, para siempre, ya que cada dia me gusta mas. Tengo 300
cabezas de vacunos, 1500 ovinos, 28 caballos de silla, dos peones
que trabajan para mi, una buena casa de cuatro habitaciones, galpones,
establo, gallinero y algunas gallinas. Lo unico que me falta es una
cocinera, ya que todavia sigo en estado de amarga solteria y a veces
me siento muy solo."
Butch CASSIDY 1904 avant de repartir en "tournée",
pendant ses deux années de repos à Cholila en Patagonie
à 1600 miles au sud de Buenos Aires.
INFORMATIONS PRATIQUES
Instituto Fueguino de Tourismo - In.Fue.Tur. Maipu 505 9410 Ushuaia
Tierra del Fuego - Argentina Tel 54 - (02901) 42 33 40 - 42 14 23
Fax 54 - (02901) 43 06 46
e-mail : infuetur@tierradelfuego.org.ar
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